Mais tout cela ne suffit pas à refroidir l’enthousiasme des nouveaux investisseurs.
Quand on demande à Felipe Gaviria une seule bonne raison d’investir dans ce pays de 42 millions d’habitants, il répond tout de go: « Vous seriez stupide si vous n' y alliez pas ! Regardez les hôtels, l’immobilier de bureaux, les entrepôts.. . Il y a des besoins énormes dans tous les domaines. »
A 33 ans, Gaviria gère 3 milliards de dollars de fonds de retraite pour la banque Santander, des milliards qu'il place pour l' essentiel en Colombie. Les priximmobilier, entreprises-montent rapidement, mais ce golden boy de 33 ans, qui se déplace à scooter ou à moto, a toujours une longueur d’avance. Il a fait ses emplettes dans le département de Vichada, une région plate de l’est du pays, où l’hectare de terrain valait 3 dollars il y a deux ans et vingt fois plus aujourd’hui. « Même à 60 dollars, cela reste très bon marché !», s’exclame le banquier.
Bien sûr, il faudra construire des infrastructures et chasser la guérilla, active dans cette région. Un détail. . Mais Felipe y croit, il est très bullish (« haussier »), comme on dit à Wall Street. Et il n’est pas le seul. A l’ambassade du Canada, Guy Salesse, le conseiller économique, voit défiler par dizaines les entreprises pétrolières et minières, les géants, bien sûr, mais aussi les petits.
« Pendant quarante ans, il n’y a pas eu d’expansion pétrolière ou minière, rappelle-t-il. Alors vous imaginez. En moyenne, 1 ,4 compagnie minière nouvelle se crée chaque mois. »
L’origine de ce boom, qui a vu le montant des investissements étrangers passer de 2 milliards de dollars par an en 2002 à 10 milliards cette année ? La stabilité politique, l’opportunité économique et la mondialisation du capital. Le premier facteur se résume à un nom: Uribe. En redonnant à la Colombie une certaine normalité, le président Alvaro Uribe a ouvert grande la porte aux investissements. « Uribe a amélioré la situation defaçon spectaculaire. Aujourd'hui, tout le monde voyage dans le pays, alors que c’était impossible il y a cinq ans », note Arnoldo Casas, 27 ans, fils de sénateur et golden boy dans une banque d’investissement créée par des Colombiens. Cette normalidad est le fioul du boom colombien, l’espoir recouvré, physiquement palpable après toutes ces décennies d’une guerre civile exténuante. Rares sont ceux qui tablent aujourd’hui sur une résurgence de la guérilla. « Les gens apprécient l’énorme changement: ils sont vigilants et personne ne veut revenir en arrière, même pas les politiciens de gauche, souligne Mauricio Cárdenas, directeur du think tank Fedesarrollo.
Si les choses continuent sur cette lancée pendant cinq ou six ans, nous serons OK.» Le deuxième moteur est économique malgré les apparences, la Colombie est l’un des pays les plus stables depuis vingt-cinq ans en matière d’inflation, de dette ou de balance des paiements. Et elle compte une main-d' ouvre parmi les plus compétentes d’Amérique latine. Les vieux briscards de la mondialisation-les Renault, Saint-Gobain ou Carrefour -le savent depuis longtemps, eux qui empochent en Colombie leurs meilleures marges de tout le continent. Les autres le découvrent, en masse.
C' est le troisième facteur: la surabondance mondiale de liquidités amène en Colombie de nouveaux investisseurs.
« Le montant d’argent qui circule dans le monde est incroyable, et nous bénéficions de ce phénomène », avoue Mauricio Càrdenas, qui juge la croissance actuelle-8%% par an excessive pour être viable: « 6%%, ce serait parfait.»
Tout le monde ne profite pas de la mondialisation, loin delà. Les riches Colombiens, qui avaient envoyé leurs capitaux à Miami et ailleurs à la fin des années 1990, reviennent au triple galop de peur de louper le jackpot.
Les pauvres, eux, sont toujours misérables. Et les inégalités restent criantes. Mais n'Oubliez pas: nous sommes dans un nouveau Far West, un pays où l’on dégaine son portefeuille avant de s’attendrir sur le sort du voisin.
« Quand on redistribue, dit Alvaro le banquier, on redistribue de la pauvreté.»
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