Cartagena, le nouveau Cancûn
La pub était alléchante: « Votre oasis en altitude, Carthagène des Indes à vos pieds ».
A 206 mètres, la tour de la Escollera devait être la plus haute de Colombie. Mais aujourd'hui on la surnomme la tour de Pise: en pleine la structure s’est mise à vriller et l’on voit nettement le bâtiment pencher. Qui paiera la démolition ? Mystère.
En attendant, automobilistes et piétons évitent de s’aventurer trop près. . Pour Adriana Michele, une joaillière qui reçoit régulièrement la visite de politiciens de Washington venus faire le plein d'émeraudes, « cette affaire lamentable est un cas isolé. La plupart des gens qui investissent à Cartagena sont sérieux ».
Sérieux ou pas, ils ont le coup de pioche facile. Dans le quartier de Boca Grande, à deux pas de la sublime vieille ville coloniale, les tours poussent depuis trois ans comme des champignons: des dizaines et des dizaines d’immeubles, tout de blanc et de verre fumé bleu. Les acheteurs ? Des Colombiens, bien sûr, qui viennent décompresser au bord de l’eau. Mais pas seulement. Boca Grande voit maintenant débarquer des étrangers, Espagnols ou Américains, retraités ou actifs, attirés par ce nouveau Cancùn. « En un an, j’ai vendu 26 appartements à des Américains », dit Adriana.
«L’endroit devient très jet-set », ajoute Karl Hallitan, un Nord-Irlandais qui vit à New York et possède plusieurs condos à Boca Grande. En bon homme d’affaires, il a identifié à temps 1' « effet CNN »: le décalage entre l’image d’un pays et sa réalité.
« C’était la même chose en Irlande du Nord, on ne parlait que des bom bes », se souvient-il . Lui-même passe environ trois mois par an sous les tropiques.
Mais il ne s’aventure pas beaucoup plus loin que les milliers de touristes qui débarquent des paquebots et visitent Cartagena sans descendre de leur bus.
« Ici, je suis toujours un gringo et je ne sors guère de Boca Grande, sauf pour aller dans la vieille ville. »
Karl, Adriana et tant d’autres ne regrettent pas leurs investissements: en deux ans, les prix ont doublé. Un grand quatrepièces se vend près de 700 000 euros, et l’on voit des maisons de la vieille ville mises à prix 4 millions d’euros ! Qui possède autant d’argent, dans un pays aussi pauvre ? Certains devinent, derrière cette fièvre immobilière sans précédent, un bon vieux recyclage de narcodollars. D' ailleurs, les propriétaires de terrain qui refusent de vendre leurs précieuses parcelles reçoivent parfois le message suivant: « Si tu ne vends pas, c’est à ta veuve qu'on achètera.»
Mais pour Adriana le boom n’a rien de louche: « Les prix grimpent à toute vitesse, les permis de construire sont faciles à obtenir. Et l’endroit est sûr. » Cernée par une population misérable, Boca la riche fait figure d' incongrue . Mais c’est une presqu' île: en cas de vol ou d’agression, la police a vite fait de boucler le secteur.
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